POLLUTION DES NAPPES DE LA PLAINE DE LA VALDAINE (Drôme)

par les nitrates d’origine agricole

et

DEVELOPPEMENT DURABLE

Le 4ème Programme d’ACTION, destiné à lutter contre la pollution nitratée, est-il DURABLE ?

 

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Le 4ème Programme d'action à mettre en oeuvre par l’Etat à partir du 1er juillet 2009, en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, a fait l’objet d’une consultation du public dans les 113 communes du département de la Drôme composant la zone vulnérable nitrates, du 1er avril au 4 mai 2009.

1. Quelques données sur la Politique agricole européenne

 Six Pays, l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas, ont signé le 25 mars 1957 le traité fondateur de l’Europe, le Traité de Rome, instituant la Communauté Economique Européenne. Leur but, dans la perspective d’une sauvegarde de la paix, fût d’aller plus loin dans leur coopération et d’établir un "Marché commun" permettant la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux et d’instaurer des politiques économiques communes.

 Dès cette date, ces six pays ont posé les bases d’une Politique Agricole Commune : l’accroissement de la productivité de l’agriculture, l’assurance d’un niveau de vie équitable à la population agricole, la stabilisation des marchés, la garantie d’une sécurité alimentaire, l’assurance de prix raisonnables pour les consommateurs. C’est le 1er août 1962 que cette politique, la PAC, entra finalement en vigueur, présentant résolument une orientation productiviste et protectionniste car il était nécessaire d’assurer tant l’augmentation de la production agricole que la construction d’une union douanière.

Très rapidement, la PAC a atteint son objectif principal de garantir l'autosuffisance alimentaire de la Communauté européenne. En effet, grâce à la mise en place d'outils qui garantissaient le revenu des agriculteurs, accompagnaient l'exode rural et favorisaient la modernisation des exploitations, elle a permis d'augmenter très
significativement le niveau de la production agricole en Europe.

 Toutefois, des déséquilibres sont apparus rapidement, dont d’énormes surplus agricoles, qui ont entraîné de nombreuses réorientations de cette politique de façon à corriger les excès productivistes… et les effets néfastes sur l'environnement. Un processus continu de réforme a été enclenché au début des années 1990 en vue de répondre aux attentes de la société. La PAC n'aurait plus pour objectif d'encourager la production mais de garantir une agriculture européenne compétitive, "respectueuse de l'environnement", capable de maintenir la vitalité du monde rural et de répondre aux exigences des consommateurs en matière de "bien-être animal" et de "qualité et de sécurité" des denrées alimentaires.

Des conséquences désastreuses paraissent toutefois ne pas avoir pu être résolues. Elles concernent la diminution du nombre d’agriculteurs et la pollution des milieux naturels.

 1.1. La diminution du nombre d’agriculteurs

 Le nombre d'exploitations agricoles a chuté de façon spectaculaire comme le tableau et le graphique suivants le montrent :

 

 

1955

1970

1988

2000 R

2005

Ensemble des exploitations

2.280

1.588

1.017

664

545

dont : de moins de 20 hectares

1.791

1.098

557

325

237

de plus de 50 hectares

95

120

172

200

200

Source : ministère de l'Agriculture et de la Pêche, Scees.                                      R : données révisées

En 50 ans, le nombre d’exploitations agricoles a été globalement divisé par 4 mais surtout par presque 8 pour les plus petites. 1.554.000 "petites" exploitations agricoles ont ainsi disparu de nos campagnes au bénéfice de grosses structures agri-managériales et au détriment tant de la qualité de nos paysages ruraux, de nos sols, de notre air, que de nos rivières et de nos nappes d’eaux souterraines.

1.2. La pollution des eaux par les nitrates

La pollution par les nitrates a commencé à être mise en évidence d’une façon généralisée au début des années 1970, soit il y a plus de 35 ans, dans les nappes d’eaux souterraines situées sous les territoires de l’agriculture productiviste.

 Localement, les eaux souterraines de la Plaine de la Valdaine présentent une qualité très dégradée depuis des décennies et elles sont parmi les plus atteintes du bassin Rhône-Méditerranée&Corse par les nitrates dus à la pollution diffuse issue de l’agriculture conventionnelle. Des teneurs de l’ordre de 100 mg/l sont mesurées en plusieurs endroits des plaines de Cléon d’Andran et du Vermenon* alors que le niveau-guide est de 25 mg/l et la concentration maximale admissible de 50 mg/l. Les trois captages d’eaux souterraines situés dans la Plaine de la Valdaine et destinés à la distribution publique présentent des teneurs en nitrates proches ou supérieures à 50 mg/l :
 

- "Le Planas" à ST GERVAIS-SUR-ROUBION - 70 mg/l - qui a dû être abandonné,

- "La Tour" à LA BATIE ROLLAND - 50 mg/l (et beaucoup de pesticides) - dont les eaux doivent être mélangées avec d’autres pour pouvoir être distribuées,

   - "Les Reynières" à BONLIEU-SUR-ROUBION - 35 à 50 mg/l - qui bénéficie en partie,

en certaines périodes, d’apports d’eaux de meilleure qualité en provenance de la rivière.

* CONSEIL GENERAL DE LA DROME ETAT DES LIEUX DE LA POLLUTION AZOTEE Nappe du Roubion-Jabron Janvier 2000

2. La tentative européenne de LUTTE contre les NITRATES

Il aura fallu attendre le début des années 1990, soit 20 ans après les premières manifestations de la pollution, pour que soit édictée une DIRECTIVE européenne, la directive n° 91/676/CEE du 12 décembre 1991, dite Directive NITRATES, destinée à définir les Zones polluées, appelées ZONES VULNERABLES, et à élaborer un processus de lutte, un Programme d’Action. Il aura encore fallu attendre 2 ans et demi pour que la France transpose cette directive en Droit français par la promulgation du décret n° 93-1038 du 27 août 1993. Et il aura encore fallu attendre 4 ans pour que démarre, sur la période 1997-2000, le premier Programme d'Action, suivi ensuite par deux autres, le 4ème étant dans son étape de démarrage.

2.1. La définition des Zones vulnérables

Dans une première phase, il s’est agi de définir les nappes d’eau souterraine polluées par les nitrates et de circonscrire, sous l’appellation ZONES VULNERABLES, les communes dont le territoire est atteint par les pollutions issues des activités agricoles. Dans le département de la Drôme, 113 des 369 communes qui le composent, soit 30,6 % du total, sont situées dans la zone vulnérable NITRATES. Plus spécifiquement, la situation des cinq cantons du bassin versant des deux rivières Roubion et Jabron est la suivante :
 

 

Nom des cantons

Nombre de communes

 dans le canton

Pourcentage du nombre de communes du canton

dans la ZONE VULNERABLE

BOURDEAUX

DIEULEFIT

MARSANNE

MONTELIMAR I

MONTELIMAR II

 9

15

15

  2

  9

    0 %

    0 %

100 %

100 %

100 %


On constate avec effarement une situation très préoccupante de notre territoire. Toutes les communes des trois cantons qui composent le Pays de la Valdaine, dont ST GERVAIS-SUR-ROUBION, sont incluses dans les Zones Vulnérables du département.

2.2. L’inefficacité des Programmes d’action

 D’après la DDAF de la Drôme, les trois premiers Programmes d’Action :

- visait, pour le premier (1997-2000), à corriger les pratiques les plus polluantes,
- devaient permettre, pour les deuxième (2001-2003) et troisième (2004-2007), une évolution des pratiques et entraîner une protection voire une restauration de la qualité des eaux.

Malgré ces objectifs intéressants, aucune amélioration significative de la qualité des eaux n'a été constatée pendant les 12 dernières  années. Les trois premiers Programmes se soldent donc par leur échec en terme de retour à une bonne qualité des eaux. C’était prévisible car ils ne contiennent pas de mesures de lutte efficaces contre la pollution des eaux. Ils ne présentent que des dispositions "agrico-agricoles" qui visent essentiellement à l’adoption de "bonnes pratiques agricoles" pour l’agriculture conventionnelle.

Le 4ème Programme d’action qui va s’appliquer du 1er juillet 2009 au 30 juin 2013 reprend les mêmes mesures que les trois précédents ajoutant toutefois deux mesures, couverture des sols à l’automne et bandes enherbées le long des rivières, susceptibles de freiner le processus de fuite des nitrates mais ne touchant pas à la CAUSE de ce phénomène.

2.3. L’erreur stratégique des Programmes d’action

 Une grosse erreur d'appréciation est commise dans l’élaboration des Programmes d’Action qui consiste à se focaliser sur les modifications de pratiques d’un SYSTEME d’agriculture structurellement polluant, l’agriculture conventionnelle. La position adoptée par l’Etat de limiter son ambition dans les Programmes d’Action à l’adoption "de bonnes pratiques" au sein de l’agriculture conventionnelle n’est bien sûr pas un mal en soi mais elle constitue néanmoins une erreur stratégique fondamentale. Dans de telles conditions, les Programmes d’ACTION ne peuvent pas être qualifiés de durable.

 On peut se demander si l’échec répétitif des programmes de restauration de la qualité des eaux ne témoignerait pas d'une attitude craintive face à une agriculture technologiquement dangereuse et socialement puissante avec comme conséquence, consciente ou inconsciente, de proroger indéfiniment les problèmes de pollution des eaux par les nitrates et, au delà, par les pesticides.

 Cette position est d’autant plus inquiétante qu’elle est également adoptée par tous les autres acteurs institutionnels, les Régions, les Départements, les Agences de l'eau, même ceux dont la mission est la restauration de la qualité des eaux.

 3. Proposition d’une piste pour la résolution de la crise agricole 

"Un univers mental cherche toujours à persévérer dans son être et ne renonce jamais de lui-même à lui-même si des forces extérieures considérables ne l'y contraignent pas."

Bertrand MEHEUST La politique de l'oxymore aux Editions Les empêcheurs de penser en rond LA DECOUVERTE

 Arriverons-nous à temps à faire émerger et à mettre en mouvement ces forces considérables? "La sortie de crise" d’un système structurellement nocif nécessite de changer de système, ce qui est très difficile. Il est plus simple de remettre à plus tard la résolution des désordres engendrés en ne procédant qu’à des modifications de pratiques au sein de ce système.

 C’est donc à une véritable "révolution des esprits" qu’il faut appeler et à un très gros effort qu’il faut consentir pour espérer obtenir une solution. Vis-à-vis de la pollution des eaux par les activités agricoles, il est d’abord nécessaire de comprendre que l'Agriculture n'est pas Une, qu’elle est très diversifiée, même si l’un de ses systèmes s’est généralisé sous la pression de lobbies industriels et agit d’une façon de plus en plus ostentatoire dans ses parcelles avec ses enrouleurs, ses épandeurs et ses pulvérisateurs. Il faut prendre conscience que l'Agriculture se compose de plusieurs SYSTEMES AGRICOLES.

 - L'agriculture conventionnelle, appelée aussi "industrielle", voire "pétrolière" par certains, basée sur "le carré productiviste" HYBRIDES-PESTICIDES-EAU-ENGRAIS, est structurellement polluante et destructrice. Elle entraîne des crises par rapport aux milieux naturels et par rapport à la santé humaine. Elle est tellement prégnante dans l'espace rural et dans les esprits humains que les acteurs en sont venus à la considérer comme "toute l'agriculture" et à ne concevoir que des modifications de pratiques dans son cadre. Cette erreur permet certes de donner bonne conscience à ses agri-managers mais empêche que l’on résolve les problèmes de pollution des eaux.

 - L'agriculture biologique est un autre SYSTEME, un système à part entière, et non pas une FILIERE de la conventionnelle, comme elle est qualifiée d’une façon erronée et discriminatoire par la plupart des acteurs. Elle se caractérise  par son faible impact sur la qualité des eaux. Les agricultures agro-écologique, paysanne, fermière, durable, sont d’autres SYSTEMES de productions agricoles qui présentent eux aussi un faible impact sur la qualité des eaux. C’est vers l’appui à ces cinq systèmes-là que doit s’orienter un Programme d’Action que l’on souhaite vraiment efficace.

 La prise de conscience qui doit intervenir rapidement et la volonté qui doit en surgir pour résoudre les problèmes de vitalité des milieux naturels et de santé des populations entraîneront l’émergence d’une nouvelle attitude. La réduction de la mainmise du système "conventionnel" de production agricole d’une part et le développement de systèmes agricoles peu polluants sur les terres d’autre part permettront de résoudre les problèmes de qualité des eaux, sans engendrer pour autant la famine des populations comme de nombreux acteurs le prédisent et le proclament, pour nous faire peur.

                                                                                                                 Léon-Etienne CREMILLE le 9 Juin 2009