1. Quelques
éléments de la pensée de la philosophe Hannah Arendt
1.1. Hannah Arendt et le procès d’Eichmann à
Jérusalem. Cette philosophe juive
allemande, née le 14 octobre 1906 et décédée le 04 décembre 1975, a suivi les séminaires
de Heidegger et de Karl Jaspers en 1924-1925 avec ses contemporains, Hans Jonas (voir 1.2.) et Günther Anders
avec qui elle a été mariée de 1929 à 1937 (voir 1.3.), se remariant en 1940 avec Heinrich Blücher. Internée au camp
de GURS dans les Pyrénées Atlantiques en mai 1940 suite à l’invasion de la
France par les armées allemandes, elle parvint à s’enfuir pour gagner le
Portugal puis les Etats-Unis. Au début des années 1960, elle a couvert le
procès d’Eichmann qui se tint en Israël et dont elle a publié un livre "Eichmann à Jérusalem ", sous-titré
"Etude sur la banalité du mal".
Il faut voir le film "Hannah Arendt" sorti en salle le
mercredi 24 avril 2013. Hannah Arendt a vu en Eichmann un homme ordinaire, médiocre,
un banal rouage d’une machinerie infernale, un citoyen qui obéit à la loi, une
incarnation de l’absence de pensée
chez l’être humain, un homme qui a abdiqué la
dignité de penser et ne sait pas distinguer le bien du mal. Elle ajoutera plus
tard "qu’il est dans la nature même du totalitarisme, et peut-être de la
bureaucratie, de transformer les hommes en fonctionnaires, en rouages
administratifs, de les déshumaniser", c’est-à-dire de leur ôter
leur capacité humaine de penser. La
réalisatrice du film, Margarethe von Trotta, dit d’Eichmann, au vu de l’examen
des archives du procès : "Pas un mot, pas une phrase qui ne soit à
lui, c’est une langue et un visage purement administratifs". En somme,
"Le plus grand mal du monde est accompli par des personnes insignifiantes
et c’est ce phénomène qu’Hannah Arendt appelle "la banalité du mal".
Francis Métivier, professeur de philosophie
à Grenoble, commente le point de vue d’Hannah Arendt. "Eichmann est un
homme ordinaire, situé dans la sphère de l’ordinaire, c’est-à-dire dans
notre sphère, ce qui signifie qu’il ne vit pas dans un monde à part du
nôtre mais qu’il nous est proche, que nous le côtoyons. Eichmann est simplement
un homme ordinaire mais qui a oublié qu’il pouvait penser et agir, un homme qui
a oublié qu’il possédait la faculté de se regarder en face, la conscience de
soi, un homme qui a oublié qu’il était un homme. La monstruosité du mal humain, c’est sa banalité."http://leplus.nouvelobs.com/contribution/847410-cinema-hannah-arrendt-la-philosphie-a-l-epreuve
de-l-histoire.html
Hannah Arendt n’a pas manqué aussi, à cette
occasion, de critiquer doublement l’Etat d’Israël, dans son refus total de
reconnaître les responsabilités de certains conseils juifs (les Judenräte)
amenés à collaborer avec les autorités nazies durant la guerre mondiale et également
dans son enfermement nationaliste depuis sa création en 1948, refusant toute
reconnaissance effective d’un Etat palestinien.Face à ses constats, elle se mettra à dos la
presse israélienne ainsi que toutes les organisations juives des Etats-Unis.
1.2. Hans Jonas et "le principe
responsabilité". Cet auteur est un philosophe allemand (1903-1993). Il
veut apporter une réponse aux problèmes que pose notre civilisation technicisée
sous la forme d’une nouvelle responsabilité qui interdirait à l’homme
d’entreprendre toute action qui pourrait mettre en danger la qualité de
l’existence sur terre, qui l’obligerait de s’assurer que toute éventualité
apocalyptique soit exclue. Nous sommes hélas très éloignés de ce principe de
responsabilité.
1.3. Günther Anders et les dangers du
développement de l’industrie nucléaire. Ce penseur et essayiste allemand
(1902-1992) est connu pour sa critique de la modernité technique et de
l’obsolescence de l’homme, son principal sujet étant la destruction de
l’humanité. Il est le fondateur du mouvement
antinucléaire et un critique déterminé de la technologie. Il publie en
1956 un texte intitulé "Sur la
bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse". Il
estime que l’on doit porter l’accent sur le fait que la technologie nucléaire
civile en liens étroits avec le nucléaire militaire (ne
l’oublions pas !) est "à
risque" pour de nombreuses raisons. Elle met en danger les
populations, en raison des problèmes de sécurité qu’elle implique et des
conséquences dramatiques, quasi-irrémédiables, en cas d’accident, pour les
victimes et leurs descendants. Elle ne présente aucune solution pérenne pour la
gestion des déchets radioactifs. Les conséquences dramatiques et inadmissibles
des deux graves accidents nucléaires de Tchernobyl le 26 avril 1986 et de Fukushima le 11 mars 2011 constituent de sévères avertissements pour la
pérennité de l’humanité si est poursuivie la prolifération des centrales et de
tous dispositifs nucléaires tant civils que militaires.
2. Quelques
éléments de réflexion à la lumière de la pensée d’Hannah Arendt
"Qu’est-ce
donc que le crime quand la société
qui l’abrite l’accepte ou le commande même ?" demande Fabrice Nicolino suite
à la Journée d’études qui s’est tenue à Paris le 27 mai autour du thème "Punir
les crimes industriels" [http://fabrice-nicolino.com/index.php]. Si, écrit-il, "on
ne peut comparer les horreurs nazies et les activités industrielles, on peut toutefois
les rapprocher sur un point peut-être, psychologique : Pourquoi tant d’hommes correctement
éduqués, normalement informés, nourris et vêtus convenablement, éventuellement bons
pères ou bonnes mères, donnent-ils leur énergie à la destruction du monde, des cultures, des paysages, des
animaux, des plantes, des hommes ?" Pourquoi n’a-t-elle pas été
interdite dès les années 1960 l’utilisation de l’amiante qui a causé la mort de
milliers d’ouvriers et ne sont pas jugés ses responsables en France ? Pourquoi
manifeste-t-on pour sauver une usine qui fabrique des chars, des mines
antipersonnel, des hélicoptères de combat et s’obstine-t-on à ne pas fermer la
dangereuse centrale nucléaire de Fessenheim ? Pourquoi obtiennent-elles des
autorisations de mise sur le marché les industries chimiques qui fabriquent des
pesticides à l’origine de nombreuses maladies? Pourquoi continue-t-elle à être
soutenue l’agriculture industrielle qui détruit les sols, pollue les eaux et
l’air, empoisonne les végétaux, "produit" des animaux entassés dans
des camps de concentration et tués dans des centres d’extermination ?
Pourquoi font-elles notre fierté les turbines installées en Chine sur le
barrage des Trois Gorges qui entraînent l’expulsion d’au moins un million de
paysans et l’implosion d’un écosystème stable depuis avant toute civilisation ?...
Léon-Etienne CREMILLE le 12 juin 2013
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