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L’EAU, UN PRODUIT DE LUXE ? [2ème partie]

DANS L’ACTUALITE : LA QUALITE DE L’EAU

La revue "QUE CHOISIR" fait le point sur la qualité de l’eau en France dans son N° 501 de mars 2012. Elle constate une amélioration de la qualité de l’eau au "robinet" mais une dégradation continue de la qualité des eaux des nappes et des rivières. Cet apparent paradoxe trouve une explication simple et désenchantée. L’effort de restauration de la qualité des eaux n’est désormais consenti que sur des zones très restreintes, les bassins d’alimentation des "captages d’eau potable". Cet effort est louable puisqu’il permet de boire une eau potable au robinet. Il reste toutefois critiquable là où il ne consiste qu’à effectuer des mélanges d’eaux de bonne et de mauvaise qualité. Si l‘on obtient dans ce cas une eau conforme aux "normes" édictées par le Ministère de la Santé, cette eau contient toujours les mêmes polluants, lesquels sont en outre en quantités plus importantes depuis que les normes ont été assouplies par l’Instruction ministérielle DGS/EA4 no 2010-424 du 9 décembre 2010. "On a diminué par 4 ou 5 le nombre de situations qui exigeraient des restrictions de consommation" affirme le porte-parole de l’association Générations Futures, François Veillerette. Partout ailleurs, la dégradation par les pesticides de la qualité des eaux d’un grand nombre de nappes et rivières n’a jamais cessé. Le rapport 2010 de l’Agence de l’eau RM&C met l’accent sur ce point noir, la présence des pesticides dans les masses d’eaux. Rien n’est fait hélas pour renverser cette situation. Le ciblage volontaire des efforts sur des zones extrêmement réduites traduit l’échec de la politique de l’eau en matière lutte contre les pollutions diffuses dues à l’agriculture industrielle, échec persistant tant que l’on conservera ce SYSTEME de production.

3. L’école française de l’eau

La gestion de l’eau domestique en France fût confiée aux communes à la révolution française puis progressivement accaparée par des entreprises privées de gestion des eaux, créées aux 19ème et 20ème siècles. "L'école française de l'eau" se caractérise par la délégation du service public de l'eau à des entreprises privées. Par comparaison, seuls 5% des services de l'eau sont confiés aujourd'hui à des entreprises privées dans le monde. Le modèle français reste atypique en Europe mais il a toutefois été promu à l'échelle internationale depuis 10 ans environ, ce qui a permis à Veolia et Suez de devenir les deux "majors" mondiales de l’eau. [Sources : conférence de Marc Laimé du 21 septembre 2002 et Wikipédia, site des sociétés]


3.1.
La Compagnie Générale des Eaux, la CGE, est créée par décret impérial du 14 décembre 1853. Elle obtient son premier contrat de concession de service public avec la ville de Lyon qui s’engage  à lui acheter de l’eau pendant 20 ans. C’est la toute première fois qu’est faite une concession d’eau. Cette société, spécialisée dans la distribution de l’eau, est née à la suite de la mise en œuvre des idées de St Simon et de ses disciples pour qui la création de réseaux était fondamentale au "développement industriel" et au "progrès" de la société. La CGE est ensuite devenue "Vivendi environnement" qui s’est transformée ensuite en "Veolia Environnement" puis s’est recentrée sur l'eau et les services aux collectivités en 2005 sous le nom de "Veolia Eau".

3.2. La Société Lyonnaise des Eaux et de l’Eclairage, la SLEE, est à l’origine une institution bancaire créée par le Crédit lyonnais en 1880 pour l’obtention, l’achat, la prise à bail et l’exploitation, en France et à l’étranger, de toute concession et entreprise relative à l’eau et à l’éclairage. Dès les premières années, de grandes villes comme Bordeaux lui concèdent leur service de l'eau. La Lyonnaise des eaux a rejoint la branche environnement du groupe Suez en 1997 puis elle est devenue une filiale du groupe Suez Environnement qui, après la fusion de Suez  avec Gaz de France, se présente sous l’appellation GDF SUEZ. La SLEE se nomme actuellement la "Lyonnaise des Eaux".

3.3. La SAUR, Société d’Aménagement Urbain et Rural, est créée en 1933 à Angoulême en Charente. Elle se spécialise dans la conception et l’exploitation d’installations de production d’eau potable. Bouygues devient l’actionnaire principal en 1984 puis se désengage en 2006. La "saur" développe à cette époque ses activités dans la collecte et le traitement des eaux usées et crée la coved en 1988.

4. Le 6ème Forum mondial de l'EAU 

4.1. Un nouvelle structure est créée en 1996, le Conseil Mondial de l'Eau, le CME, qui regroupe plusieurs centaines d’organisations dans le monde (300 entités à travers 50 pays en 2009), des acteurs des secteurs publics et privés, des agences des Nations Unies, la Banque Mondiale et même des ONGs. Il se présente comme un "centre de réflexion international sur l’eau" dont l’objectif est la résolution des problèmes liés à l'eau dans le monde. Il a son siège à Marseille. Son président actuel est Loïc Fauchon, président de la Société des eaux de Marseille qui est une filiale de Veolia. La France est l’Etat-membre qui a le plus d’influence au sein de cette structure grâce à trois composantes-clés, l’Ecole française de l’eau, les Entreprises multinationales, le Partenariat français pour l’eau, partenariat public-privé dans la recherche, qui compte une soixantaine de membres dont Action contre la Faim (ACF), l’Office International de l’Eau (OIEau), l’association VERSeau Développement.

Le Conseil Mondial de l'Eau est en définitive une structure idéale pour permettre aux deux multinationales françaises de se lancer conjointement à la conquête du monde. Comme l’OMC, c’est une organisation privée au service d’intérêts privés. [Source : http://seaus.free.fr/spip.php?article425]

4.2. Le CME organise un Forum Mondial de l’Eau tous les trois ans, le premier s’étant tenu au Maroc à Marrakech en 1997 et le dernier en date, le 5ème, en Turquie à Istanbul. Le 6ème Forum va se tenir en France à Marseille du 12 au 17 mars 2012. Il a comme ambition d’être le "Forum des solutions" ! C’est une formule bien dans l'air du temps ! L’avez-vous remarqué ? De nombreuses entreprises introduisent le terme "solutions" dans leur stratégie actuelle de "communication" auprès du public. Pourquoi pas celles qui gèrent les problèmes d’eau et qui cherchent, comme les autres, à faire des profits ? Mais là, c’est sur l'eau ! Et c’est dommageable car l’eau n’est pas une marchandise. C’est un bien constitutif de la vie, un bien commun de l’humanité.

"Nous, quand on dit «l’eau pour tous», c’est bien pour tous. Eux, c’est l’eau pour tous ceux qui peuvent payer. Quand ils parlent d’humanité, ils parlent de consommateurs. Quand ils parlent d’individus, ils parlent d’usagers." Danielle Mitterrand [2 août 2010].

4.3. L’eau douce  est normalement abondante sur terre vis-à-vis de nos besoins fondamentaux, quoiqu’en disent "les experts". Si l’eau manque, selon les discours assénés par les protagonistes du système productiviste économico-financier, c’est parce que ceux-là veulent exporter le modèle consumériste occidental, si l’eau est devenue "un produit de luxe" pour les pauvres, c’est parce que l’eau est désormais traitée comme une marchandise qu’eux, les pauvres, ne peuvent pas payer.
 

L’eau ne manque pas. Lorsqu’il y a pénurie, c’est en fait parce qu’on l’a détournée pour "faire de la croissance économique". Riccardo Petrella, économiste italien, fondateur de l’IERPE * [août-septembre 2011]

[http://www.sosfaim.be/pdf/publications/defis_sud/102/agriculture_eau_defis_sud.pdf]

 

EN CONCLUSION : DIFFICULTES de l’INFORMATION : Laure Noualhat, journaliste Environnement à Libération, réfléchit à une manière efficace d’alerter le grand public sur la catastrophe écologique en cours. Elle écrit des papiers depuis dix ans sur le sujet. Elle a collaboré à plusieurs émissions télévisées d’écologie et en a proposé d’autres dans
l’espoir saugrenu de toucher le plus grand nombre. A la télé, on lui a répondu : "L’écologie, on n’en veut pas, c’est trop anxiogène. Les annonceurs veulent du positif. Quant au public, il veut du fun. Alors laissez-le consommer tranquille, il a déjà bien assez de problèmes comme ça. La réalité écologique, les espèces, la pollution, le réchauffement, tous vos trucs, là, ça l’ennuie. Ça l’indispose, même". Alors, un jour, puisque le journalisme ne suffisait pas, elle est passée par la dérision et a inventé "Bridget Kyoto"

* IERPE : Institut Européen de Recherche sur la Politique de l’Eau                                                                                                            Léon-Etienne CREMILLE le 6 mars 2012